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A propos d’une philosophie antique de l’architecture

2009

UNE PHILOSOPHIE DE L’ARCHITECTURE ?

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Et d’abord qu’est ce qu’une folie architecturale au siècle des lumières ?
- Extrait du livre Les anciennes routes, de la banlieue à Alexandrie de Laura Brunon, chapitre III.

Qu’est ce qu’une « folie » ? Une maison de divertissement et de plaisance que les aristocrates du XVIIIème siècle, se font bâtir pour leurs loisirs. L’architecte a libre cours pour un délire d’époque, temple grecque, décor mythique, allégorie tellurique…L’architecture, pour ces hommes d’une fin de monde, est très loin de nos conceptions actuelles. Plus qu’une science technique, l’architecture est encore un art. Un art universel qui a le pouvoir d’influencer les âmes, en perpétuant un modèle.

Au XVIII siècle, les traditions héritées de l’antiquité sont toujours à l’ordre du jour. Elles remontent au fameux Vitruve, architecte romain du Ier Siècle avant J.-C., magnifié par le non moins fameux Palladio, architecte italien au XVI siècle et dont l’aura fut maintenue au siècle des Lumières à travers de nombreuses traductions. Ces traditions architecturales véhiculent un art de construire et le modèle parfait de la conception gréco romaine avec ses ordres, ses colonnes, ses portiques, ses péristyles, ses tracés régulateurs, ses représentations, ses symboles, ses buts, ses interprétations aux fils des siècles. Il faut se rappeler que pour l’antique tradition, les proportions, « consonances entre chaque partie et le tout » (le nombre d’or) sont affirmées comme d’ordre naturel car issues de l’anatomie et des règles mathématiques. D’ailleurs le parallèle est constamment fait avec la musique en soulignant qu’accords et proportions s’organisent selon des lois harmoniques complexes, ouvrant sur les lois propres à l’univers.

Néanmoins, en cette veille de révolution, nous sommes bientôt en 1789, on assiste à une véritable rupture entre deux conceptions de l’architecture : l’artistique et la scientifique. Pour la toute nouvelle Ecole Royale des Ponts et Chaussées créée en 1747 et dont sont issus les ingénieurs, l’architecture devient une science technique et utile, définitivement. « Il y a abandon de la tradition de l’esthétisme et rupture avec les fondements philosophiques touchant l’architecture et la forme en générale ». C’est entre ces deux tendances, les traditionalistes et l’ultra moderniste, que se situe la troisième voie dite « révolutionnaire » dont sont issus Boullée, Ledoux et sans doute J.J Huvé, le constructeur de la Folie Huvé. Cette voie propose une vision politico-émotionnelle de l’architecture. Ils veulent accompagner l’évolution des hommes dans le monde en mouvement et développent l’utopie du Bonheur social. Pour ces architectes dits « révolutionnaires » philosophiquement la « Folie » représente plus qu’une image, plus qu’un miroir, plus qu’un lieu fonctionnel, elle synthétise une conception nouvelle de la société. Il s’agit alors d’élaborer de nouveaux modèles touchant les rapports humains, de créer de nouveaux liens sociaux. Pour ces philosophes le but ou plutôt l’utilité de l’architecture est justement de « constituer du lien social », de proposer des modèles dans lesquels les notions naissantes de liberté, égalité et fraternité, mots phares de la révolution française, acquièrent leurs sens et leurs matérialités.

Leur souhait, à travers la matière, la lumière, les combinaisons géométriques de l’espace ou encore en s’aidant des analogies avec les structures naturelles comme l’air, le feu, la terre, l’eau, est de bâtir une expérience nouvelle de la fraternité. Car sans fraternité comment développer l’égalité et la liberté ?

Plus encore, l’émotion dégagée par l’architecture se trouve régénérée ou plutôt l’architecture régénère l’émotion. Le caractère de l’édifice délivre aux sens un message. Concrétisant une idée, une pensée, une action, cette architecture est capable de transformer l’utile en émotion, de communiquer directement l’émotion d’une valeur. Pour ces philosophes, l’architecture émet une vision architectonique du monde et surtout d’une société en progression. Elle peut matérialiser « une réponse aux besoins fondamentaux de l’homme et offrir une réflexion sur les fondements du lien social, donc d’une éthique collective ». Le bâtiment sera expression, créateur d’émotions et de conscience, grâce à des formes épurées, symboles d’intégration. Voyons Etienne Louis Boullée qui dans son « essai sur l’art » formalise les rapports des sensations avec les formes géométriques, il rappelle la nécessité de la « poésie dans l’art de bâtir ». Il va même jusqu’à inventer, « l’architecture des ombres » destinée à amplifier les sensations brutes en une « morale collective ». De fait, le bâtiment élabore une « durée fictionnelle », il propose un récit,[1] où le projet d’une société utopique, fraternelle, peut être mis en mouvement, s’organiser grâce à un scénario spatial, symbolique, émotionnel et biologique. Selon les théories sensualistes de l’époque, si fervente dans les plaisirs de la vie, les formes ont une action sur « l’âme ». Pour ces hommes comme dans l’antiquité, les nombres, le jeu de la lumière, les rapports et proportions entre les formes, ont une composante philosophique. Si on sait les exploiter, ces composants éveillent la connaissance et l’expérience de grands principes fondamentaux comme le bien, le beau, l’harmonie, le bonheur ou pour les révolutionnaires du XVIIIème siècle celui d’une éthique collective.

A contrario, il suffit aujourd’hui de prendre le RER qui conduit de Paris à Melun et de jeter son regard sur les banlieues traversées pour sentir l’âme se remplir de désarroi et de tristesse, tout simplement. La laideur agit là directement et l’être ne sait plus où fuir. En définitive on peut dire que nos architectes révolutionnaires, Boullée, Ledoux et sans doute J.J. Huvé, sont les derniers représentants de l’ Architecture, vraie expression d’une des plus anciennes traditions. Ils défendent l’idée que l’architecture est un prolongement des lois de la nature et propagatrice d’idéaux. Ce en quoi ils ont parfaitement raison.